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Illustration : Shakthidharan. Licence Creative Commons |
Je vous présentais alors dans un
précédent billet tous les avantages au développement d’une nouvelle conception
de la propriété, fondée sur l’usage et non la spéculation. En effet, il est
temps de considérer notre foncier, le sol que nous avons sous nos pieds, comme
un bien commun inaliénable. L’accaparement de la terre par quelques-uns rend
rapidement insupportables la vie du plus grand nombre. Des paysans sans terre
du Brésil, aux expropriés de Birmanie en passant par les mal-logés du monde
entiers, le problème de l’accès au foncier est une des causes majeurs du
non-respect des droits fondamentaux. En France, l’émergence au début du 20ème
siècle des politiques de logements sociaux a permis d’extraire ce parc de
logements de la simple logique de marché. Le passage à 25% de logements social
porté par la Ministre du logement Cécile Duflot vient poursuivre cette œuvre.
Mais la financiarisation non
régulée du marché privé nous oblige aujourd’hui à inventer une autre vision de
la propriété. Une vision qui ne se résumerait pas à affirmer dans les textes le
droits d’accès à la propriété mais qui permettrait de disposer de son usage
dans un partage contractuel entre le sol demeurant public ou collectif (la
nue-propriété, soit l’unique droit de vendre sans jouir du bien) et l’usage du
bâti (l’usufruit, soit tous les bénéfices que l'usage de la propriété : le
droit d'habiter le logement, de le louer ou de l'utiliser à d'autres fins
rémunératrices).
Cette vision s’est déjà
concrétisée outre-Atlantique et s’importe en Europe, par la Belgique et le
Royaume Uni, sous la forme du Community Land Trust. Il s’agit d’une
organisation non lucrative de la propriété sur un territoire géographique
défini visant à trouver une solution à la cherté du foncier : acquérir des
terres et les gérer comme un bien commun entre collectivité publique et
associations, en répondant aux exigences de l’intérêt général.
Deux mécanismes s’articulent : le
foncier est détenu de façon perpétuelle, et le prix du foncier est retranché du
coût du logement.
Enfin, les prix de cession des
murs lors de chaque vente est encadré, et la plus-value est réintégrée pour
partie au groupement (Ce principe de solidarité et d’équité permet que
l’investissement dans le foncier ne s’évapore pas au moment de la cession du
bien. Une partie du prix de la vente revient néanmoins au propriétaire-occupant
pour compenser les investissements dans son logement).
Le CLT garantit alors des prix d’accession à la propriété constamment
inférieurs aux prix du marché.
Quelques principes clés :
- la séparation entre la propriété foncière et la propriété de l’immeuble,
- l’accessibilité durable au terrain,
- la gestion démocratique et participative,
- le lien territorial avec le quartier,
- l’accompagnement des habitants.
L'intérêt est double : il
permet de rendre impossible la spéculation et surtout il impose une vision de
l'intérêt général par le maintien de la nue-propriété dans la sphère
collective, tout en combinant des financements privés et publics.
L’adaptation de ce modèle à nos
politiques publiques pourrait revêtir de multiples formes, comme le suggère le
mouvement Coordin’action Nationale des Associations de l’Habitat Participatif :
1.
Être opérateur dans des projets de ZAC, de
réhabilitation de quartier, d’éco quartiers et/ou d’aménagements urbains dans
des zones de foncier tendu et cher.
Exemple : le
futur éco quartier de Saint Vincent de Paul à Paris. Un CLT permettrait
d’ouvrir une négociation avec l’AP-HP afin d’éviter la montée en spéculation
sur une partie de ce foncier et éviter la ségrégation entre les logements
sociaux et les autres. C’est une opportunité pour développer un quartier
exemplaire en cohésion sociale et développement durable.
2.
Acheter, rénover, gérer des bâtiments vides
diffus avec des garanties locatives pour les propriétaires devenant membres du
CLT. Des immeubles de parcs de type SIEMP à Paris ou d’autres pourraient être
remis en usage.
3.
Agir sur des copropriétés dégradées.
4.
Réhabiliter un îlot ou une rue avec les
habitants, qu’ils soient locataires ou propriétaires. Exemple à
Roubaix-Tourcoing, rue Stephenson : un programme de réhabilitation accompagnée
a été engagé. Mais des personnes âgées sans moyens financiers ont dû quitter et
certaines réhabilitations sont devenues une affaire immobilière. Un CLT au
niveau de la rue aurait financièrement aidé ces personnes pour rester dans leur
habitat de manière sécurisée.
5.
Rehausser des immeubles ou dents creuses dans un
quartier.
Toutefois des questions restent à
traiter pour parvenir à une proposition de montage adapté au contexte
réglementaire et économique français.
- Comment disposer d’un système de propriété séparée, quelle adaptation nécessaire de l’emphytéose ?
- Quelle forme juridique pour la CLT ? Avec quelles compétences et quelle gouvernance ?
- Comment acquérir des terrains ? Cela rejoint les stratégies foncières publiques à mettre en œuvre dans les zones urbaines denses : mobilisation de terrains publics, mobilisation des locaux vacants, etc…
- Quels modes de financement ? Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le fonctionnement du trust est alimenté par une combinaison créative de différentes sources de revenus. Il s’agit d’investissements privés qui sont encouragés par des avantages fiscaux. Ils cherchent des dons et sollicitent des prêts sans intérêts ou à des taux préférentiels, ils fonctionnent à l’aide de leurs propres moyens (revenus locatifs) ou reçoivent des subsides. En France, il faudrait solliciter des investisseurs parallèles qui pourraient s’intéresser à cette façon étique d’investir dans l’immobilier : Crédit Coop, Nef, etc.
Le CLT est l’équivalent d’un
logiciel libre. Le contrat qui lie le propriétaire de la nue-propriété et
l’usager du bâti permet de corriger l’ADN de la propriété, à l’image d’un
internaute faisant évoluer le programme pour l’adapter à ses besoins. Nous ne
résoudrons pas les problèmes d’aujourd’hui avec les solutions d’hier, alors
osons innover!
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