2 mars 2010

Pour une stratégie industrielle durable contre des modèles dépassés





Par Denis Baupin, Daniel Cohn Bendit, Emmanuelle Cosse, Cécile Duflot

Pas une semaine sans annonce catastrophique sur le front industriel français : d'ArcelorMittal à Total, en passant par les constructeurs automobiles licenciant à tour de bras, Areva et son réacteur nucléaire EPR embourbé et invendable, ou encore Dassault et son avion Rafale. Les commentaires sur cette série noire oscillent entre subtiles analyses sectorielles et grossier souverainisme économique. Mais, paradoxalement, rares sont ceux qui se risquent à poser clairement un diagnostic et donc un traitement.

Et si, tout simplement, ce qui caractérisait ces industries était d'être irrémédiablement tournées vers un modèle dépassé, incapables d'anticiper les enjeux du XXIe siècle et donc de produire les équipements dont nous avons besoin aujourd'hui ? Et si les stratégies purement défensives défendues par le gouvernement (à coup de plans de relance et de coups de menton virils) et la gauche traditionnelle (défendant systématiquement le statu quo) ne pouvaient qu'échouer parce qu'ayant fait leur temps ?

Et si l'échec à Copenhague comme celui de la taxe carbone n'étaient que les résultats directs de cette incapacité à choisir, à tourner résolument le dos au passé et regarder l'avenir ? Et si, avec des discours qui prétendent traiter les problèmes de fond, tout en ne voulant quasiment rien changer pour ne pas se mettre à dos les principaux lobbies, on ne faisait que reporter systématiquement les réformes structurelles indispensables, au risque de les rendre demain encore plus brutales et coûteuses, avec un cortège de souffrances plus lourd encore ? Et si en fin de compte, les écologistes étaient aujourd'hui les seuls porteurs d'une stratégie industrielle digne de ce nom-là où toutes les autres forces politiques ont depuis longtemps renoncé ?

Certes, en tant qu'écologistes, nos aspirations premières vont naturellement à la création d'emplois dans les services (notamment les services à la personne) ou dans l'économie de l'immatériel (technologies de l'information). Mais nous avons pleinement conscience que la mutation écologique de l'économie passe par une mutation industrielle, et ce d'autant plus que des centaines de milliers de salariés, ouvriers et cadres, aujourd'hui menacés, sont placés en situation d'angoisse, d'incapacité à se projeter vers l'avenir.

Réussir la mutation écologique nécessite de nombreuses filières industrielles : pour rénover thermiquement les bâtiments - à commencer par les "grands ensembles" où règne la précarité énergétique -, et donc fabriquer des isolants thermiques, des panneaux solaires, etc. ; pour développer les systèmes de transports collectifs de demain ainsi que des véhicules automobiles sobres, des vélos plus performants, des dispositifs d'éclairage basse consommation, etc. ; pour produire et distribuer l'énergie de façon renouvelable et décentralisée, mais aussi pour recycler les déchets, inventer des filières du réemploi et de la réparation des biens, réduire les circuits de fabrication et de distribution, en donnant la priorité à l'utilité sociale et à la relocalisation de l'économie.

Ces filières, pour la plupart émergentes, ne tomberont pas du ciel. Elles ont besoin d'une impulsion publique. C'est d'ailleurs ce que font chacun de leur côté la Chine et les Etats-Unis. Et elles peuvent aussi s'appuyer sur le tissu industriel existant, pour peu qu'on mobilise les réseaux, les savoir-faire existants, qu'on privilégie la reconversion plutôt que l'acharnement thérapeutique ici ou la chirurgie lourde là. On ne compte plus les exemples européens de sous-traitants du secteur de l'automobile ou du secteur minier, reconvertis dans l'éolien notamment. Mais il faut maintenant passer à une autre échelle.

Reconvertir est forcément un moment difficile. Cela impose de faire des choix, de convenir de ce qui ressort du passé et de ce qui ressort de l'avenir. De dire, par exemple, qu'entre les énergies du passé (pétrole, gaz, charbon, uranium) qui sont toutes centralisées, reposant sur des ressources limitées et peu créatrices d'emplois, et les énergies d'avenir (éolien, solaire, géothermie, énergies de la mer, etc.) décentralisées, renouvelables et créatrices d'emplois, les bonus économiques iront aux secondes et les malus aux premières.

Mais cette reconversion n'est pas uniquement affaire économique : elle est d'abord affaire humaine. Qui dit reconversion industrielle dit stratégie d'envergure de formation, de renforcement des compétences, d'accompagnement dans le changement, de garantie des revenus pendant la transition. La région, parce qu'elle est non seulement chargée de la formation professionnelle, mais aussi du développement économique, est le lieu par excellence où cette nouvelle impulsion peut être donnée.

En organisant des états généraux de la transformation écologique de l'économie et de l'emploi, nous entendons associer l'ensemble des acteurs économiques et sociaux du territoire - et notamment les forces syndicales de plus en plus conscientes de cet impératif de mutation - débouchant sur des contrats de conversion écologique et garantissant un revenu de transition pour accompagner et protéger les salariés dans cette évolution professionnelle. En créant un fonds de soutien à l'intelligence écologique, nous accompagnerons humainement et matériellement les TPE et PME dans leurs projets d'innovation dans les éco-technologies et dans l'invention de l'économie de demain. Rien qu'à partir de l'Ile-de-France, c'est près de 170 000 emplois durables et non délocalisables qui pourraient ainsi être créés.

Cette mutation industrielle est ainsi au coeur des enjeux de notre début de siècle : enjeux économiques, écologiques, énergétiques, sociaux. A elle seule, elle ne saurait traduire l'ensemble des mutations nécessaires à la métamorphose qu'appelle de ses voeux Edgar Morin, tant les enjeux culturels, de solidarité, de décroissance de notre empreinte écologique et de changement de notre vision du monde sont essentiels. Mais elle en est un point de passage urgent.

Nous ne voulons pas vivre notre époque comme la fin d'un monde qu'il faut à tout prix retarder, mais au contraire comme l'aube d'un nouveau monde à construire.

Denis Baupin, maire adjoint Vert de Paris chargé du développement durable ;
Dany Cohn-Bendit, président du groupe Vert au Parlement européen ;
Emmanuelle Cosse, numéro deux de la liste Europe Ecologie à Paris ;
Cécile Duflot, tête de liste Europe Ecologie Ile-de-France et secrétaire nationale des Verts.

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